Ce n’est pas que la mort d’Yves Bonnefoy ait surpris. A 93 ans, je suppose que les articles nécrologiques avaient été préparés depuis quelques temps. Non, c’est le traitement de cette « information » – sur France-Inter par exemple – qui fut révélateur. Yves Bonnefoy aura donc été le dernier des poètes (ou le dernier poète, la mémoire me manque pour retrouver la formule de titre, et le courage aussi pour aller la retrouver). Que l’on puisse vexer par méconnaissance Jacques Réda, Jacques Roubaud ou Michel Butor, passe encore, quoi qu’il soit possible qu’ils aient à leur heure l’honneur de la même image de la part de ces mêmes journalistes. Mais c’est surtout le côté programmatique, le désir mis à jour, de la part de professions dont le rapport au langage est un rapport à l’actualité sans mémoire longue, à la tension d’affichage, à la verbigération du monde en ôtant à grands coups de périphrases et d’hyperboles tout lien interrogatif entre causes et conséquences, c’est tout ce programme qui semblait au seul énoncé de « dernier poète » brusquement révélé : car il y a maintenant le langage techniciste, jargonnant, manageurial des classes gouvernantes, politiques, ou bancaires et mass-médiatiques. Et il y avait le langage des poètes. C’est-à-dire de ceux qui faisait du langage une histoire de pensée. Une émancipation par la parole tenue. Un pari sur l’intelligence, et sur l’absence de réponses : une résistance à la communication. De fait, le poète comme figure de réussite, ou comme synthèse littéraire du politique – de la vie « ensemble et seuls » – le poète a en effet disparu de l’actualité au cours du dernier quart du XXe siècle. Il a été méthodiquement confiné à ses cénacles ridicules et pédants. Ce faisant, il s’agissait d’ôter au langage le pouvoir de dire quelque chose au plus grand nombre. Les formules toutes faites suffisaient. Le design de pensées suffisait. On contrôle tout, avec le vocabulaire.
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