Chamanismes

Il faudrait réussir à distinguer le chaman qui est en chacun : dans cette volonté de ne téléchargerplus être dans son corps, par peur d’y être astreint – uniquement – et d’y vieillir – peut-être. Ce sont les histoires qu’on se raconte, les films que l’on voit, les identifications successives, les tablettes et les téléphones que l’on transporte – bientôt les lunettes ou les casques immersifs proposés. Être ailleurs, enfin. Les ivresses qu’on se procure. Et tout comme le chaman, auparavant, s’était retrouvé, non dans les prêtres, mais dans les figures populaires des sorciers ou dans la posture plus aristocratique de l’intellectuel. Il suffit de reprendre le portrait imaginaire que Stéfan Zweig fait du premier européen d’entre eux, Erasme, pour comprendre cette prégnance préhistorique : toute sa personne se ressent de ce manque de vitalité ; les cheveux qui garnissent ses tempes veinées sont clairsemés, insuffisamment pigmentés et d’un blond trop fade ; ses mains anémiques ont la transparence de l’albâtre, son nez anguleux surgit dans son visage d’oiseau comme le bec effilé d’une plume (…) ce fin visage de moine, un peu désséché, fait tout de suite penser à des fenêtres fermées, à la chaleur des poêles, à la poussière des livres (…) en vérité, Erasme a toujours froid ; ce petit homme sédentaire est constamment enveloppé dans des vêtements épais à larges manches et bordés de fourrures ; par crainte des courants d’air, il n’ôte jamais la barrette de velours qui couvre sa tête prématurément chauve. C’est le visage d’un homme dont la vie n’est pas dans le corps, mais dans la pensée, dont la force n’est pas répartie dans l’organisme tout entier, mais se trouve concentrée uniquement dans les arcades osseuses des tempes. Bref. Une part des prochains Voyages se bâtira sur cette hypothèse là. Metamorphose des formes imaginaires, à travers les siècles. A demi inventées. Chamanisme et nouvelles technologies, également.