Eclairante culture

En ouvrant cette page, je pensais écrire un article sur le sens des mots, sur l’hypothèse de Sapir-Whorf, sur les mots qui pensent à travers nous, sur l’histoire des sentiments qui ne peut être autre chose que l’histoire des mots dans lesquels ils se sont énoncés. J’aurais ensuite décliné l’argument autour du langage des médias, aurais fait un petit détour par la  novlangue, pour m’appesantir sur la raréfaction linguistique et les torsions sémantiques qui sont le signe de tout totalitarisme (de fait, le totalitarisme, cela restera toujours un espace sonore empoisonné, une raréfaction du vocabulaire, une recherche infantile de vibrations communes sans déploiement d’espace intérieur individuel).  Ce sera pour un article prochain. L’actualité peut-être, dont la radio, que j’avais oublié d’éteindre, dans la pièce à côté hurlait son témoignage.

Je songeais distrait à ce moment d’ouvrir la page, à propos de Trump, qu’il n’y avait jamais eu dans l’histoire d’empire déclinant sans empereur fou. La stupéfaction qui nous est venue la nuit de son élection a sans doute une cause :  pensait-on, inconsciemment peut-être, que cette forme de dérive  était le fait de régime autocratiques, héréditaires, et que la raison du plus grand nombre prévenait les régimes démocratiques de telles dérives. Encore aurait-il fallu miser véritablement sur la démocratie, et la culture du plus grand nombre, plutôt que sur les téléréalités dont Trump est le représentant et le produit (bien plutôt que des réseaux sociaux dont il n’est jamais qu’un utilisateur plus egocentré que beaucoup d’autres).

Oeuvre de Jean Dubuffet

Jean Dubuffet – « le site populeux »

Puis, laissant courir l’imaginaire, cette idée m’est venue : Il y a vingt ans, lisant Asphyxiante culture de Dubuffet, j’apprenais à penser que la ligne de partage entre artistes et professeurs était infranchissable : en résumé, que les professeurs transmettent ce qui a déjà été fait, capitalisent un savoir et des jugements, et ne peuvent en rien entrer dans le processus créatif, sinon en le freinant, l’artiste cherchant justement au contraire l’originalité d’une nouvelle expression – et l’apparition ou la réactivation d’une nouvelle émotion (l’apparition d’un nouveau mot de sensation en quelque sorte).

Aujourd’hui, effet de l’âge peut-être mais surtout des bouleversements numériques, je ne pense plus exactement la même chose : nous devons faire ce qu’à l’époque de l’imprimerie les humanistes d’Erasme ont su faire – quand avec l’imprimerie ils ont renoué avec l’antique : faire qu’une révolution médiatique s’accompagne d’une renaissance culturelle – et spirituelle – en renouant avec un passé commun plus long que l’actualité catastrophique du jour. Et n’être pas en défaut de mémoire quand  le futur s’écrit aussi vite qu’un algorithme de gestion big-data, bien évidemment.