Pensées naïves (Paradise papers)

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Si être de droite ou de gauche, autant que d’arguments est affaire de sensibilités et de principes, et que cette simple dénomination des sensibilités n’existait pas avant la révolution française et l’assemblée constituante de 1789, ces sensibilités devaient bien exister avant l’apparition de leur mot, avant même l’apparition (ou de l’acceptation moderne des sens) des mots progrès, ou conservatisme. En tout état de cause, penser ce qu’étaient ces sensibilités il y a 250 ou 300 ans, revient à poser la question complexe du rapport de chacun aux pouvoirs, et s’il est ridicule tout autant qu’anachronique de vouloir faire de Montaigne ou de Blaise Pascal des hommes de droite, de La Boetie, de Molière ou de François Villon des hommes de gauche, il n’en reste pas moins qu’en recherche de généalogie et de légitimité les uns et les autres se servent allègrement de tel ou tel : après tout la métaphore droite/gauche évoque insensiblement celle des plateaux d’une balance qui ne se compose on le sait que de l’ensemble, et du fléau du jugement pour peser. Pour ma part, que la sensibilité héréditaire situe irrémédiablement du côté gauche du plateau (voire extrême, ce que je ne considère pas, mais selon les caractéristiques du discours dominant de l’époque) j’ai souvent fait mon miel de pensées butinées chez les uns et les autres. J’écarte ce que je considère être l’incohérence politique très réactionnaire de Fernando Pessoa (anti-Lumières) quand je le lis, j’oublie la récupération politique faussement mollassonne de l’Institut Montaigne, et si je lis Blanqui je n’oublie pas Blaise Pascal alors même que je suis laïc, et agnostique de tendance athée.

C’est justement chez Blaise Pascal, dans ses discours sur la condition des grands, que l’on trouve selon moi la meilleure expression des sensibilités droite/gauche – avant même que cette découpe des sensibilités devienne politiquement pertinente. Pascal part de la métaphore d’un naufragé se retrouvant sur une île dont les habitants en le découvrant et par méconnaissance font de lui leur Roi : Roi, il ne l’est pas puisqu’il sait bien ce qu’il est lui-même ; mais il en accepte les avantages, et il va régner tout comme un Roi.

Ce statut, c’est le hasard qui lui accorde, et non le mérite. S’il le garde en conscience il peut rester juste. S’il l’oublie, il s’illégitime de se penser légitime. Par cette figure, Pascal fait entendre deux statuts distincts, deux conditions d’être (puisqu’on parlait de condition pour parler de situation sociale sous l’ancien régime) : le statut d’établissement, que le hasard et la société nous accorde ; et le statut de mérite, que le travail ou l’intelligence personnelle peut seul conquérir. Et, selon Pascal, tout comme tel Duc ou Comte se fourvoierait à se vouloir meilleur géomètre que lui, ce serait une faute de ne pas leur reconnaître le statut de Duc ou de Comte. La sensibilité de droite se reconnaît là : à l’importance du statut d’établissement qu’il s’agit de ne pas remettre en cause, faute de troubles ; pour certains cela va si loin qu’il s’agit de légitimer l’illégitime, et de faire de sa condition un mérite : on mérite bien d’être riche, tout comme les pauvres méritent le peu qu’ils ont. La sensibilité de gauche a mené à la Révolution et à l’émergence de son expression : les gens de droite étant venus se placer aux sièges d’honneur, culturellement situés à la droite de la présidence de l’assemblée, les sensibilités de gauche ont fait de leur peu d’établissement un mérite. (Relique abstraite que l’on retrouve parfois aujourd’hui dans l’affreuse bonne conscience des gens qui se disent de gauche.) Mais voilà : la Révolution a mené au pouvoir des gens qui certes ne voulaient plus céder leur mérite devant le Duc, mais se légitimisent d’avoir de l’argent, oubliant tout comme certains Princes avant eux, le statut d’établissement qui le leur accorde.

Il s’agit chaque fois de le leur rappeler. Les gens riches, on a simplement tort de croire qu’ils le sont. Ils se comparent. Redistribuons.

 

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