Plus perçante est la vue, moindre est la profondeur » se dit ce soir-là Yakumo, cherchant ouvertement à se consoler de son irréparable myopie. On rêve plus quand on voit moins. Il avait posé ses lunettes sur la table d’écriture, à côté du pinceau, et après s’être frotté le visage à deux mains il se tenait face à la fenêtre ouverte, qui faisait, sur la surface du mur (vert-de-gris, mais comme un ciel tendu, avec des reflets de cuivre donnés par l’électricité de la lampe, à travers lesquels il pouvait imaginer un paysage de plantes qui luisent au soleil comme des jets d’eau), la fenêtre donc qui faisait une sorte de carré bleu sombre d’où il percevait les algues noires de ce qu’il savait être des feuillages.
Du plus lointain de l’invisibilité lui parvenaient quelques chants d’oiseaux. Deux êtres se répondaient. Il entendait plus distinctement encore des frôlements d’insectes, des frottements plus semblables à des cris quand ils s’en prenaient en escarbilles à l’ampoule jaune et crue sous l’abat-jour.
A cet instant, il eut la sensation que l’extériorité disposait d’une intimité. Il eut l’impression d’une présence du monde. Mais après avoir remis ses lunettes, ce paysage si simple lui était redevenu un espace extérieur. Cependant, il se sentait comme un jardinier, qui sait d’instinct que les plantes qu’il a semées et qu’il cultive s’épanouissent et mûrissent – dans le temps – et en lui-même en pensées presque autant…
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