Les Voyages ordinaires, tome 3 (extrait 2)

En attendant la sortie du tome 2 cet automne des Voyages ordinaires, le tome 3 s’est écrit. Combien de temps encore avant qu’il sorte ? Je ne sais pas. Mais l’écriture est quotidienne. Tout continue.

« Le rapport entre vivants est un rapport de temps et de tempo différents. Ce sont des lenteurs ou des rapidités qui fondent des réalités différentes. Dans la vie en tant que temps, la lenteur est une façon d’invisibilisation. Si la roche est intelligente, c’est parce que c’est dans des processus de millions d’années qu’elle couve ses cristaux, ses lueurs internes, ses veines pailletées. Elle n’est pas simplement inerte. Seule l’immobilité est divine : il y a une métaphysique du temps d’arrêt. Une métaphysique de la lumière.

Durkheim, cité par Levi-Strauss, cité par Gell reprend les propos d’un indien Dakota, pour lequel la création du monde est l’histoire de ces temps arrêtés : « Chaque chose, en se mouvant, à un moment ou à un autre, ici ou là, marque un temps d’arrêt. L’oiseau qui vole s’arrête en un lieu pour faire son nid, en un autre pour se reposer. L’homme en marche s’arrête quand il veut. Ainsi le dieu s’est arrêté. Le soleil, si brillant et magnifique, est un lieu où Il s’est arrêté. La lune, les étoiles, le vent, c’est là où Il fut. Les arbres, les animaux, sont tous des points d’arrêt, et l’indien pense à ces lieux et y dirige ses prières, pour qu’elles atteignent l’emplacement où le dieu s’est arrêté… »

Il s’agit pour nous désormais qui avions fait de la vitesse l’unique signe d’intelligence adaptative, de redécouvrir ces points d’arrêts, d’en faire des lieux d’admiration, comme lorsqu’on regarde la beauté sereine d’une statue muette d’un Bodhidharma dans un couloir de musée, de trouver ces points d’arrêts, majestueux et ordinaires, paysages de vallées, de montagnes, de vues sur la mer, de rivières et de forêts, tellement multiples de par le monde, où l’on sent que ça s’arrête, ou que quelque chose s’est arrêté : ce peut être un lieu, ce peut être un moment, il suffit, une nuit sous un arbre, de jouer à cacher une étoile sous l’ombre d’une feuille, un univers sous une feuille, pour en être saisi –  maintenant est l’éternité. »