Les Voyages ordinaires, tome 3 (extrait 3)

En attendant la sortie du tome 2 cet automne des Voyages ordinaires, le tome 3 s’est écrit. Combien de temps encore avant qu’il sorte ? Je ne sais pas. Mais l’écriture est quotidienne. Tout continue.

Une vitre de train par la quelle on voit un paysage de bord de mer

Portrait d’instant.

Fin de nuit dans un train. Progressivement le paysage devient bleu derrière la vitre. Il retrouvera ses couleurs tout à l’heure, comme un bourgeon s’ouvre à la feuille tendre qu’il contient (on le croit immobile, il est déjà autre, plus déplié).
J’ai mal ou peu dormi, pas ou peu rêvé, la bouche pâteuse et le cou malheureusement raide. Peu à peu, après les collines cardées et ratissées par les vignes, les forêts de pins, se forme un paysage plus maritime : c’est là que je vais. Dans les parages des villes traversées et les zones commerciales on trouve déjà quelques hangars à bateaux, au milieu de jonchaies laissées à une nature rendue poussiéreuse. Plus loin, on s’est rapproché tellement de la côte que dans des trouées on croit voir des plages de sable briller d’eau et de lumière. Ce n’est peut-être pas ça, peut-être des champs éloignés, une illusion, des reflets, mais on s’approche, l’océan, on le sentirait presque.
Sur la tablette de plastique beige devant moi, à moitié coincée sous un livre, la cellophane vibrante du sandwich d’hier soir brasille de l’éclat du soleil qui vient. Je perçois une odeur de café, qui n’est qu’un mirage associé à mon réveil, disons à ma conscience du matin, devenue plus vive, échappée de sa lenteur à comprendre et de sa fascination naïve pour les objets gris du demi-jour.

La lenteur avec laquelle j’ai repris pied dans le monde, petit à petit, d’abord par les yeux, puis par la nuque, avec cette sensation de courbure, ensuite par l’odeur, finit par l’oreille : et lorsque le bruit rythmique du train termine de reprendre sa place dans le wagon, le réel paraît enfin tout entier. Je me détourne de la vitre et je regarde devant moi. La page du livre mal rabattu a gardé de la nuit passée un plissement maussade, analogue aux traces d’un froncement de drap sur une joue d’enfant qui se réveille.